L'élection est passé, on a viré le petit connard, on peut maintenant tourner la page.
Mais finalement, qu'a-t-on fait? On a élu un nouveau président parce qu'on n'a pas apprécié la politique du précédent. Le nouveau a même établit son premier gouvernement, qui a le mérite au moins d'apporter du sang neuf. Est-ce que ce sang neuf apportera des idées neuves? Cela reste à voir.
L'homme du moment! |
Mais, s'est-on réellement penché sur le problème? C'est la force de Sarkozy d'imposer un climat, c'est à dire un caractères émotif et personnel à une situation. Et et en faisant cela, il parvient à détourner la conversation. Comme je l'ai dit plus haut, 'on a viré le petit connard', c'est à dire qu'on a réagit à la personne plutôt qu'à la politique, et la campagne a été déraillée. On ne peut pas le juger sur ce qu'il a fait.
En personnalisant le vote, on a exagéré le caractère émotif, sans réellement étudier en étudier le caractère structurel de la question. C'est facile à faire quand on vit l'impact sur la vie des gens ordinaires qu'ont les décisions prises par nos dirigeants. Chômage et sous emploi enracinés ont grillé une génération entière et sont en passe pour griller une seconde. Mais si on regarde la question de façon dépassionnée, on s'aperçoit qu'il y a en fin de compte deux problèmes que l'on peut qualifier 'd'économique' au sens grec du terme, c'est à dire dans la gestion de notre maison, la nation. L'une est la dette publique (ou le déficit, c'est en fait la même chose), et l'autre est l'économie (dans le sens plus moderne du terme) en berne.
Les deux sont liées mais non de la manière que l'on croit.
Commençons par la dette. Car c'est la dette qui semble tout empêcher. Tout le monde pense qu'avec son déficit colossal, la France, comme tous les pays d'Europe n'a pas les moyens de mettre en oeuvre sa politique (quelle que soit cette politique). C'est déjà discutable, car la France a trouvé les moyens de débloquer des sommes considérables pour sauver les banques (alors qu'elle était déjà au bord du gouffre) ou pour envoyer des troupes en Afghanistan ou en Côte d'Ivoire. (On pourait croire que ces opérations ne coutent rien, tellement on s'inquiète peu de combien elles plombent le budget). Mais quand il s'agit des besoins sociales (hôpital, écoles, retraites), les caisses sont soudainement vides.
Il faut distinguer le vrai... |
Il faut commencer par oublier les caisses: elles n'existent pas. Les finances de l'Etat sont simplement un système d'entrée et de sortie d'argent. Les finances publiques ressemblent bien plus à un compte courant qu'à un compte d'épargne. Et à l'instant T, à ce moment, on est déficitaire, dans le sens que plus d'argent sort que ne rentre.
On a tendance à comparer les finances de la nation aux finances ménagères. L'analogie peut marcher, mais que jusqu'à un certain point. D'abord, un ménage a une durée de vie fixe, et donc les sommes dont il pourra disposer, son crédit, est limité dans le temps. D'autre part, l'argent qu'il reçoit, ses ressources, est plutôt fixe, puisque limité à son salaire, et dans une moindre mesure les produits de ses réserves (les revenus de son épargne, son patrimoine immobilier). Ce salaire peut varier certes: on peut espérer qu'il va croître même, mais en fin de parcours pas tant que cela. les ressources d'un ménage sont à la fois déterminées et prévisibles.
Tout ménage vit avec des déficits, parfois ponctuels (les trous dans le mois), parfois structurel (le prêt à la banque). Mais en fin de parcours, c'est à dire en fin de vie, le bilan du ménage sera quasiment nul, c'est à dire que les sorties d'argent seront quasiment égales aux rentrées d'argent. Si un ménage devait vivre selon les règles de l'Union Européenne pour les états, il serait impossible d'acheter une maison: cela représenterait un déficit astronomique dans nos finances. Une maison coûte trois à cinq fois le salaire annuel du ménage. Si on rajoute cette charge au dépenses ordinaires (le gaz, l'électricité, etc), cela représenterait un déficit de 600% de notre produit ménager brut.
C'est pour cette raison que les banques ne réfléchissent pas en termes de déficit quand ils nous offrent un prêt. Ils raisonnent en termes de capacité de remboursement, dont un facteur important est le temps nécessaire pour rembourser.
circulez, il n'y rien à voir... |
On craint toujours que nos enfants devront payer notre dette publique, alors que c'est nous-mêmes qui la payons. Il n'y pas de dette, il n'y a qu'un déficit. On s'en aperçoit lorsqu'on regarde comment les successeurs utilisent les comptes de finances publiques. Quand Kennedy arrive au pouvoir et trouve son chéquier plein, il propose un grand projet à son pays: nous irons à la lune. Quand Bush II arrive au pouvoir et trouve le chéquier plein, il partage le fric avec ses potes. Les comptes américains sont au rouge avant même la chute des deux tours. Les exemples sont américains, mais conclusions sont universelles. La situation financière d'un état n'existe que dans le présent. C'est la gestion politique d'une nation qui en assure sa santé financière.
En fait, il faut considérer le déficit comme un découvert et la dette comme des agios. Il est vrai que nous traînons ce déficit depuis fort longtemps déjà et que les agios commencent à faire lourd. Mais c'est comme ça. Ce n'est pas si grave. Le Japon a trainé un déficit représentant 200% de son PIB. Cela ne l'a pas empêché d'être la troisième puissance économique de la planète. Parfois même, il faut se servir de ce découvert autorisé, voire l'étendre pour faire face à un moment difficile.
Le problème auquel doit faire face l'état est le déséquilibre entre revenus et dépenses. A l'heure actuelle, l'état fait entrer moins d'argent qu'il n'en voit sortir. La logique de l'austérité, c'est de maîtriser les dépenses et augmenter les revenus. Cela peut paraître logique, si ce n'était que lorsqu'on parle d'austérité, on ne nous parle que de réduction de dépenses.
Si maîtriser les dépenses se résume à simplement les réduire, on ne peut guère faire mieux que ce que l'on fait actuellement. Les salaires de la fonction publique sont gelés depuis bientôt vingt ans, les services à faible rendement ont été supprimés: des cliniques dans des bourgs ruraux sont fermées, bien des gares sont désaffectés, des classes se ferment et des bureaux administratifs, tels que postes et mairies, tournent à mi-temps en campagne. Même l'armée en prend pour son grade avec des bataillions entiers de supprimés. A moins de carrément démanteler la fonction publique (ce qui peut être le but inavoué des dirigeants, mais ne faisons pas de procès d'intention), il est difficile de voir ce qu'on peut faire de plus.
Quand Nicolas Sarkozy remarque durant le débat de 2007 que 53% des dépenses c'est les fonctionnaires, il présente ce chiffre comme une dépense excessive. Si on a trop de dépenses dans l'état, c'est qu'il y a trop de fonctionnaires. Pour lui, comme pour beaucoup de gens, le travail est un coût. Et tout coût doit être réduit.
Rendre à César ce qui est à César |
Quand Nicolas Sarkozy avance que le personnel représente 53% des dépenses publiques, il faut au contraire se réjouir, car cela veut dire que pour chaque euro donné à l'état, 53 centimes vont pour payer les agents eux-mêmes, c'est à dire que plus de la moitié des impôts et des taxes paye le service effectivement rendu: le policier, l'enseignant, le gardien de musée ou l'équipe médical. Le reste paye les prestations sociales (allocations familiales, etc.), les biens publiques (le Charles de Gaulle, une nouvelle autoroute, une école, ou des tramways) et enfin des frais de fonctionnement. En plus, une bonne part de ces 53% retourne dans les caisses de l'état, sous forme d'impôts et de taxes à la consommation. Un fonctionnaire, c'est rentable!
Avancer que le travail est un coût revient à énoncer un oxymore. L'investissement n'a de sens que dans le travail. Un investisseur donne de l'argent à un entrepreneur pour qu'il ait les moyens de mettre en oeuvre son projet. Ces moyens sont avant tout humains. Si l'entrepreneur pouvait faire aboutir le projet seul, il n'aurait pas besoin d'investisseurs. Mais comme le travail à faire représente plus que ce qu'il peut faire seul il doit faire appel à de la main d'oeuvre, ce qui va épuiser ses moyens financiers propre, d'où le besoin d'investisseurs. Comment l'investisseur pense-t-il récupérer sa mise? En vendant le produit fini. A qui? certainement pas à lui-même, puisqu'il a avancé l'argent de départ. Donc il le vend aux autres. A ceux qui ont besoin du produit, ceux qui ont travaillé à le faire, ceux qui ont travaillé à faire les outils nécessaires à ce produit, etc. C'est en assurant le travail qu'on assure le retour sur investissement. C'est pourquoi un investisseur qui place un euro à l'étranger a tout intérêt à en placer trois chez lui. S'il avance que seul l'étranger vaut la peine de recevoir des investissements il ne pourra plus vendre son produit chez lui. Et il se tire une balle dans le pied.
Si les entreprises ne veulent plus investir en France, l'état doit devenir l'investisseur d'ultime recours. C'est le grand avantage qu'à la France - et tous les autres pays d'Europe, d'ailleurs - sur les Etats-Unis d'Amérique. Aux Etats-Unis, l'état peut faire les dépenses nécessaires aux besoins collectifs (ces dépenses manquent cruellement, de part et d'autre de l'Atlantique), mais c'est tout. En Europe, on peut faire ces dépenses également, mais un pays peut aussi investir dans son économie et tirer les bénéfices de cet investissement. L'état non seulement peut bénéficier du chiffre d'affaire, mais il récupère une bonne part de sa mise par le biais des impôts et des taxes à la consommation, tout comme il le fait pour les fonctionnaires. Du coup, il peut tabler sur des échelles de temps bien plus long pour assurer la rentabilité de ses investissements; il peut penser bien plus aux besoins réels et bien moins à la rentabilité immédiate, car la rentabilité à court terme est assurée autrement. Un investissement pour un état comporte nettement moins de risques que pour un investisseur privé. Le secteur privé n'a que les revenus du chiffre d'affaire pour récupérer sa mise et donc devient bien plus conservateur pour assurer sa survie.
Qui dit que les caisses sont vides? |
Malheureusement, loin d'investir, l'état désinvestit dans l'économie. Les vingt, voire les trente dernières années sont dominées par les dénationalisations. Les banques, TF1, Renault, Saint-Gobain, EDF, GDF et bien d'autres entreprises publiques ont été transférés au privé. Si leur ventes ont mis du beurre dans les épinards ponctuellement, personnes ne s'est demandé comment remplacer les revenus que généraient ces entreprises sur le long terme. Le déficit de l'état est bien plus un problème de chutes dans les recettes que de dépenses "galopantes". Les pertes de revenu des entreprises publiques en sont une raison importante.
Ces dénationalisations arrivent en même temps que les désinvestissements du privé dans l'industrie en France, ce qui entraine une perte de recettes encore plus importante: la réduction de l'assiette d'impôts, c'est à dire du nombre de personnes payant des impôts sur leur revenu: plus il y a de chômeurs, moins il y a d'imposés, et moins il y a d'argent qui entrent dans les finances publiques; c'est arithmétique. Comme ces chômeurs dépensent moins, il y moins d'impôts indirects également. A cela, il faut rajouter le gel des salaires ainsi que le recours de plus en plus systématique au temps partiel, et les embauches bien au delà des capacités réelles des candidats: le sous-emploi, qui plombe d'autant les recettes de l'état. Moins les gens gagnent, moins ils payent d'impôts.
Ah, les petits cubes... |
Ces dépenses doivent être en outre compensées par le retour à une fiscalité progressive, les recettes de l'état augmenteront et donc attireront par la suite le privé qui saura être assuré du retour sur investissement. De même que comme l'état peut récupérer une part de sa dépense par la fiscalité, de même le privé peut récupérer une part de la fiscalité progressive exigeante par l'achat de bons d'investissement du trésor public. La boucle serait bouclée.
Or, c'est l'inverse qui s'est produit. Arrivé au pouvoir en 2000, Bush a fait évanouir le surplus que lui a laissé Clinton en faisant baisser les impôts sur les plus haut revenus. En 18 mois, le pays s'est trouvé avec un déficit record, et aucune amélioration dans les services publiques. Au contraire, même: les services de police ont raté l'infiltration islamiste, tellement ils étaient devenu nuls. En France, on fait la même chose: le bouclier fiscal, la suppression des taxes d'entreprises, les heures sup' défiscalisées n'en sont que des avatars récents. Et les services publiques en pâtissent: écoles surpeuplés avec des classes dans un état de décrépitude avancé, routes enneigés avec une voie déblayée, de plus en plus d'affaires de justice gérées par de moins en moins de magistrat... C'est à croire que l'état mène une politique délibérée d'autodestruction.
On justifie la politique d'austérité comme une nécessité pour rétablir la confiance des marchés. Or avec l'austérité, on voit plutôt une course effrénée des marchés vers la porte de sortie. On pourrait croire à l'efficacité de cette politique si elle était suivie par une entrée massive de fonds d'investissement dans des pays comme la Grèce ou l'Irlande, qui l'appliquent à la lettre. C'est le contraire qui s'est produit. Depuis la mise en place d'une politique d'austérité, la Grèce a vu son crédit dégradé au niveau d'un investissement toxique et une disparition quasi totale des investisseurs, ainsi qu'un taux de chômage équivalent à celle de la grande crise des années trente. Même à des taux exorbitants, personne ne veut acheter des bons grecs, car rien ne garantit le retour sur investissement. En effet, peut-on avoir confiance dans une personne dont les recettes ne cessent de diminuer, et qui fait tout pour diminuer ses recettes?
... du faux! |
S'il faut une politique "d'austérité", cette austérité doit être partagée par tous, sous la forme d'une fiscalité fortement progressive: plus tu gagnes, plus tu payes d'impôts proportionnellement. Lorsqu'une personne cent millions d'euro, et en laisse 90% à l'état, cela lui laisse dix millions d'euro; l'impôsé ne sera pas sur la paille pour autant. Les abattements fiscaux doivent également être établi en vue de l'intérêt général: en réinvestissant dans des entreprises à forte main d'oeuvre en France, tes impôts seront réduits d'autant. Mais il faut surtout rappeler que servir l'intérêt général, revient à servir son intérêt particulier. Avec les impôts, on construit les routes qui transporteront les marchandises, on construit les écoles qui formeront les employés à venir..
Mais la plus grande austérité sera celle imposée à l'état même qui devra assumer une dette conséquente pour financer la relance. Le paradoxe c'est que, une fois lancée l'économie résorbera automatiquement la dette. Cela se voit aujourd'hui en regardant la santé économique de pays qui l'applique, telle que l'Argentine ou l'Islande; même le stimulus package au début du mandat d'Obama, quand bien même largement insuffisant, a aidé le pays à éviter le pire. En Europe, comme en Amérique, on n'a jamais vu le peuple plus riche, l'économie plus saine, les finances plus stables que lorsqu'il y avait des salaires élevés, une fiscalité progressive et une politique économique interventionniste.
On ne voit guère que deux personnes en France qui aient saisi même partiellement le sel de ce paradoxe: Villepin pour l'investissement public dans l'industrie, et Mélenchon pour le besoin d'une fiscalité progressive. Ce serait intéressant de voir le PS se mettre entre les deux pour créer la dynamique nécessaire et relancer l'économie, et réellement rétablir la confiance.