jeudi 22 septembre 2011

Aventures et avatars du court Métrage



Aucun autre format n’a autant subit les vicissitudes du cinéma que le court métrage. Pourtant à l’aube du 7ème art, seul le court a accès au grand public. A cette époque, on loue les films au mètre, et ainsi une salle peut plus facilement varier son offre. Le conservatisme des dirigeants fait le reste. Selon eux, le publique n’acceptera pas qu’un film ne dure plus de dix minutes, soit la durée d’une bobine de film. Le premier « Trust », formé par Thomas Edison, s’assure que tous suivent la règle du tout court. Que l’on ne s’y trompe pas : Méliès et Pathé siégent au Trust ; il s’agit d’un monopole d’envergure mondial.

C’était le bon vieux temps, l’age d’or du court. Tous les grands cinéastes de cette première époque font leurs gammes sur le court. Griffith en tourne deux par semaine pendant sept ans avant de ruer dans les brancards – et de se cacher en Californie pour tourner son premier long métrage. Et quel long ! Ce sera La Naissance d’une Nation[1], au succès phénoménal qu l’on connaît. Ce sera par le biais des longs métrages que les futurs majors parviendront à abattre le Trust. A la fin de la  première guerre, tout le monde tourne des longs métrages, comme si on en faisait depuis le début.

Assez vite, le court est relégué au second plan, et devient un amuse-gueule qui apprête le grand film de la soirée. Ces grands films sont souvent des aventures ou des mélodrames et le court se transforme alors en amuse-gueule comique. Ce seront les auteurs comiques qui accèderont en dernier au statut principal que confère le long métrage. Le projet initial de Chaplin pour Charlot soldat est de faire un long mais il n’arrivera pas à trouver le soutien nécessaire, et le film sera réduit à la durée qu’on connaît. Chaplin devra attendre 1921 pour imposer le Kid en six bobines (soit une heure de film).

Si le court perd la première place dans les salles, cela lui permettra une large marge de manœuvre expérimentale. Le court est en somme forcé d’être plus audacieux que le long. Ceci est particulièrement visible dans le domaine de l’animation. Alors que le procédé technicolor est mis au pont dès 1925 avec la couleur à deux bandes, suivi de la couleur à trois bandes au début du parlant, il ne doit sa survie qu’à son utilisation dans l’animation et en particulier à Walt Disney. Dès le début de la deuxième guerre mondiale – et vingt cinq ans avant la fin de l’usage régulier du noir et blanc dans le long métrage – les dessins animés ne seront tournés qu’en couleur.

Le court – même en animation - finira par être exclu du grand écran. Aujourd’hui, plus aucun film n’est précédé d’un court métrage (il y a même un groupe sur Facebook qui cherche à rétablir le court au début des séances). Cette exclusion est pour ainsi dire institutionnalisée, lorsqu’on sait que seul un court agrémenté d’une « autorisation de production » peut être diffusé en salle. Seul un film tourné par une société de production dûment constitué, avec un capital de base (une bagatelle de 8000 €- qui ne compte pas pour le tournage soit dit en passant), capable de payer, au tout au moins offrir un « intéressement » à son équipe et aux acteurs, peut prétendre à une telle autorisation. Or, quel financier sain de corps et d’esprit serait prêt à capitaliser un projet qui n’a aucun débouché apparent ? La mise en place du court est de ce fait dominée par le système D[2].

La disparition progressive de l’accès aux salles se fait en même temps que l’arrivée et la monté en puissance de la télévision qui devient le débouché privilégié du court métrage. Le court était, on peut presque dire par nécessité, à l’avant garde du développement de ce médium. Mis au point à la fin des années trente, la télévision fait son apparition dans les foyers à l’issue de la Guerre. Le court devient par sa taille, sa souplesse et sa variété, un candidat idéal pour nourrir les premières diffusions télévisuelles. Parmi les premiers « classiques » de la télévision, on trouve plusieurs séries d’anthologie de court-métrages,  comme La quatrième dimension. La télévision s’est nourrit de ces rebuts du cinéma : Le journal télévisé, le vaudeville (Le plus grand Cabaret du monde), le documentaire, la série à personnages récurrent (La petite maison dans la prairie). Le court se voit concurrencé par cette dernière. Les deux formats de fictions coexistent jusqu’aux années soixante-dix, avec à l’époque quelques tentatives curieuses d’hybridation, comme la Croisière s’amuse.

Le court sera enfin de compte chassé du petit écran. De nos jours il n’en reste que des vestiges, comme la collection schlussklap d’Arte. France3 en diffuse dans la nuit, ou au petit matin, c’est selon, un peu pour égaliser ses horaires. Le court métrage, pour subsister, doit de nouveau chercher un territoire pour s’implanter. Il découvre un nouvel essor sur l’internet, qui a cette particularité que tout lecteur devient un auteur potentiel, tout spectateur un cinéaste en herbe. L’internet est le médium de l’émulation permanente. On se souvient de la conversation entre Picasso et Braque au début du siècle dernier : par cette conversation les deux artistes ont progressé à pas de géants ; de cette conversation est né le cubisme, et pour ainsi dire tout l’art du vingtième siècle. L’internet permet non seulement à deux artistes de se confronter, mais toute une génération d’artistes de développer leur médium de choix : le texte, la musique, la photo, le jeu de rôle,  le cinéma et de le présenter instantanément à son publique.

L’internet est le médium de l’expérimentation, est donc le médium idéal pour le court métrage. Car le court est le format de l’expérimentation cinématographique. Le court est en fin de compte plus exigent que le long. Comme une nouvelle en littérature, le court n’a pas le luxe du temps mort narratif. Les personnages et la situation doivent être campés immédiatement, le discours doit aller droit au but. Le court ne peut pas supporter un plan inutile. La cheville visuelle est autant à proscrire dans le court que la cheville métrique dans le sonnet. C’est dans ces courts que Griffith a exploré les possibilités du montage et du cadrage. C’est dans les courts que Chaplin a développé Charlot. Le long peut amplifier les découvertes du court, mais c’est dans l’économie des moyens que le court justifie tous les audaces. Enfin, un court métrage n’est pas une ébauche, mais un film à part entière.

Ce dont souffre le plus le court métrage, c’est le silence assourdissant dont l’entoure la presse cinématographique généraliste. Le court a des revues qui lui sont consacrées tel que Bref, éditée par l’agence du court métrage, mais rares sont les magazines tel que Positif ou Première qui lui consacrent une page, un article ou encore moins un dossier de presse, si ce n’est pour pleurer sa disparition.

Il serait en revanche prématuré d’en faire sa nécrologie. Faire un court est un parcours de combattant ; une fois terminé c’est un nouveau parcours de combattant pour le diffuser. Mais on ne cesse de tourner des courts métrages. Cette rage de faire se dédouble d’une inventivité sans bornes. Ce n’est pas le nouveau blockbuster, mais dans le court que l’on découvre l’ordinaire de demain. 

Regardons de plus près ce vénérable gaillard qui a découvert la fontaine de jouvence.




[1] Notons, pour l’exactitude historique, qu’il ne s’agit pas de son premier long métrage, encore moins le premier long métrage de l’histoire du cinéma. Les italiens, dès les débuts de la deuxième décennie, se mettent à tourner de somptueux péplums qui marqueront fortement Griffith. Son premier long sera en fait une histoire biblique Judith and Bathseba mais qui sera interdit de diffusion par sa compagnie la Biograph, qui en tant que membre du Trust ne sort que des courts. La Biograph sortira le film un an plus tard à la suite du succès de Nation.

[2] Il est permis de penser que plusieurs manuels de production présentent cette politique comme la norme. Il suffit d’une lecture en diagonale des pages sur le financement dans le fascicule intitulé Produire des courts métrages par Céline Maugis (édition « collection tournage ») pour montrer comment financer un court est un véritable château de cartes : Céline Maugis commence par le financement public, c’est à dire les régions et le CNC (met omet le fait que le CNC ne traite qu’avec des sociétés de production - voir plus haut), et parle ensuite des institutions prives, en particulier les chaînes de télévision, où elle conclu avec la phrase suivante : « la plus grande partie de ces sommes vous sera versée une fois le film achevé » (page 49). Je croyais qu’elle parlait du financement d’un projet… On ne prête qu’aux riches, après tout…