jeudi 24 mai 2012

Le Paradoxe

Ouf!

L'élection est passé, on a viré le petit connard, on peut maintenant tourner la page.

Mais finalement, qu'a-t-on fait? On a élu un nouveau président parce qu'on n'a pas apprécié la politique du précédent. Le nouveau a même établit son premier gouvernement, qui a le mérite au moins d'apporter du sang neuf. Est-ce que ce sang neuf apportera des idées neuves? Cela reste à voir.

L'homme du moment!
Le changement c'est maintenant. Cela veut dire quoi? On remplacé une sale gueule par une autre (bon un peu plus propret, peut-être, mais c'est un détail). Cette nouvelle tête s'est entourée d'autres nouvelles têtes. Et alors? Est-ce que la sale gueule en question était l'Alpha et l'Oméga de la politique? Et d'ailleurs, était-ce la politique qui nous gênait? Bien des gens pensent que la politique qu'il a menée était inéluctable, qu'il va falloir continuer, quelque soit son successeur, qu'on va avoir des années à baver, et on ne pourra rien y faire. Or c'est cette politique qui est suivi qui est le problème, pas les gens qui l'ont mené.

Mais, s'est-on réellement penché sur le problème? C'est la force de Sarkozy d'imposer un climat, c'est à dire un caractères émotif et personnel à une situation. Et et en faisant cela, il parvient à détourner la conversation. Comme je l'ai dit plus haut, 'on a viré le petit connard', c'est à dire qu'on a réagit à la personne plutôt qu'à la politique, et la campagne a été déraillée. On ne peut pas le juger sur ce qu'il a fait.

En personnalisant le vote, on a exagéré le caractère émotif, sans réellement étudier en étudier le caractère structurel de la question. C'est facile à faire quand on vit l'impact sur la vie des gens ordinaires qu'ont les décisions prises par nos dirigeants. Chômage et sous emploi enracinés ont grillé une génération entière et sont en passe pour griller une seconde. Mais si on regarde la question de façon dépassionnée, on s'aperçoit qu'il y a en fin de compte deux problèmes que l'on peut qualifier 'd'économique' au sens grec du terme, c'est à dire dans la gestion de notre maison, la nation. L'une est la dette publique (ou le déficit, c'est en fait la même chose), et l'autre est l'économie (dans le sens plus moderne du terme) en berne.

Les deux sont liées mais non de la manière que l'on croit.

Commençons par la dette. Car c'est la dette qui semble tout empêcher. Tout le monde pense qu'avec son déficit colossal, la France, comme tous les pays d'Europe n'a pas les moyens de mettre en oeuvre sa politique (quelle que soit cette politique). C'est déjà discutable, car la France a trouvé les moyens de débloquer des sommes considérables pour sauver les banques (alors qu'elle était déjà au bord du gouffre) ou pour envoyer des troupes en Afghanistan ou en Côte d'Ivoire. (On pourait croire que ces opérations ne coutent rien, tellement on s'inquiète peu de combien elles plombent le budget). Mais quand il s'agit des besoins sociales (hôpital, écoles, retraites), les caisses sont soudainement vides.
Il faut distinguer le vrai...

Il faut commencer par oublier les caisses: elles n'existent pas. Les finances de l'Etat sont simplement un système d'entrée et de sortie d'argent. Les finances publiques ressemblent bien plus à un compte courant qu'à un compte d'épargne. Et à l'instant T, à ce moment, on est déficitaire, dans  le sens que plus d'argent sort que ne rentre.

On a tendance à comparer les finances de la nation aux finances ménagères. L'analogie peut marcher, mais que jusqu'à un certain point. D'abord, un ménage a une durée de vie fixe, et donc les sommes dont il pourra disposer, son crédit, est limité dans le temps. D'autre part, l'argent qu'il reçoit, ses ressources, est plutôt fixe, puisque limité à son salaire, et dans une moindre mesure les produits de ses réserves (les revenus de son épargne, son patrimoine immobilier). Ce salaire peut varier certes: on peut espérer qu'il va croître même, mais en fin de parcours pas tant que cela. les ressources d'un ménage sont à la fois déterminées et prévisibles.

Tout ménage vit avec des déficits, parfois ponctuels (les trous dans le mois), parfois structurel (le prêt à la banque). Mais en fin de parcours, c'est à dire en fin de vie, le bilan du ménage sera quasiment nul, c'est à dire que les sorties d'argent seront quasiment égales aux rentrées d'argent. Si un ménage devait vivre selon les règles de l'Union Européenne pour les états, il serait impossible d'acheter une maison: cela représenterait un déficit astronomique dans nos finances. Une maison coûte trois à cinq fois le salaire annuel du ménage. Si on rajoute cette charge au dépenses ordinaires (le gaz, l'électricité, etc), cela représenterait un déficit de 600% de notre produit ménager brut.

C'est pour cette raison que les banques ne réfléchissent pas en termes de déficit quand ils nous offrent un prêt. Ils raisonnent en termes de capacité de remboursement, dont un facteur important est le temps nécessaire pour rembourser.

circulez, il n'y rien à voir...
Lorsqu'on raisonne en termes de capacité de remboursement, on peut remarquer que les capacités d'un état sont illimités, puisqu'il n'y a aucune limite dans le temps pour effectivement rembourser. En plus, l'état a beaucoup plus d'emprise sur ses revenus qu'un ménage, puisqu'il peut les ajuster selon ses besoins. Finalement, la dette peut sombrer dans l'insignifiance. Les États-Unis n'ont jamais officiellement remboursé leures dettes pour la guerre de 40, tout simplement parce qu'ils l'ont remboursé indirectement par la croissance des Trente Glorieuses. La dette a perdu toute importance économique. Le plein emploi et l'imposition progressive ont rendu la dette caduque. En 1960, Eisenhower quitte la Maison Blanche en laissant les 'caisses' pleines. Il a laissé à son successeur un budget équilibré, ou un chéquier approvisionné. Dans une conjoncture pareil, le rachat des bons de guerre serait passé inaperçu dans les affaires courantes de trésorerie.

On craint toujours que nos enfants devront payer notre dette publique, alors que c'est nous-mêmes qui la payons. Il n'y pas de dette, il n'y a qu'un déficit. On s'en aperçoit lorsqu'on regarde comment les successeurs utilisent les comptes de finances publiques. Quand Kennedy arrive au pouvoir et trouve son chéquier plein, il propose un grand projet à son pays: nous irons à la lune. Quand Bush II arrive au pouvoir et trouve le chéquier plein, il partage le fric avec ses potes. Les comptes américains sont au rouge avant même la chute des deux tours. Les exemples sont américains, mais conclusions sont universelles. La situation financière d'un état n'existe que dans le présent. C'est la gestion politique d'une nation qui en assure sa santé financière.

En fait, il faut considérer le déficit comme un découvert et la dette comme des agios. Il est vrai que nous traînons ce déficit depuis fort longtemps déjà et que les agios commencent à faire lourd. Mais c'est comme ça. Ce n'est pas si grave. Le Japon a trainé un déficit représentant 200% de son PIB. Cela ne l'a pas empêché d'être la troisième puissance économique de la planète. Parfois même, il faut se servir de ce découvert autorisé, voire l'étendre pour faire face à un moment difficile.

Le problème auquel doit faire face l'état est le déséquilibre entre revenus et dépenses. A l'heure actuelle, l'état fait entrer moins d'argent qu'il n'en voit sortir. La logique de l'austérité, c'est de maîtriser les dépenses et augmenter les revenus. Cela peut paraître logique, si ce n'était que lorsqu'on parle d'austérité, on ne nous parle que de réduction de dépenses.

Si maîtriser les dépenses se résume à simplement les réduire, on ne peut guère faire mieux que ce que l'on fait actuellement. Les salaires de la fonction publique sont gelés depuis bientôt vingt ans, les services à faible rendement ont été supprimés: des cliniques dans des bourgs ruraux sont fermées, bien des gares sont désaffectés, des classes se ferment et des bureaux administratifs, tels que postes et mairies, tournent à mi-temps en campagne. Même l'armée en prend pour son grade avec des bataillions entiers de supprimés. A moins de carrément démanteler la fonction publique (ce qui peut être le but inavoué des dirigeants, mais ne faisons pas de procès d'intention), il est difficile de voir ce qu'on peut faire de plus.

Quand Nicolas Sarkozy remarque durant le débat de 2007 que 53% des dépenses c'est les fonctionnaires, il présente ce chiffre comme une dépense excessive. Si on a trop de dépenses dans l'état, c'est qu'il y a trop de fonctionnaires. Pour lui, comme pour beaucoup de gens, le travail est un coût. Et tout coût doit être réduit.

Rendre à César ce qui est à César
Le problème avec une logique pareil, c'est qu'on éteint l'embauche et par conséquent on éteint le service à rendre. Que l'état embauche ses agents directement, ou qu'il délègue la tâche à des tiers, il faudra qu'il paie le service. Donc si l'état veut sérieusement réduire ses dépenses il faudra qu'il démantèle ses services. Vu que les gouvernements successifs ont a réduit tous leurs services à leur effectif minimum, il n'y a plus vraiment de marge de manoeuvre, à moins de supprimer des services. Lesquels supprimer? Les écoles? L'armée? La maintenance des routes? Qui reprendra ces services, par nature déficitaires? Tout comme une industrie qui cherche à réduire ses effectifs pour un travail nécessaire finit par réduire son offre, et surtout sa principale source de revenu.

Quand Nicolas Sarkozy avance que le personnel représente 53% des dépenses publiques, il faut au contraire se réjouir, car cela veut dire que pour chaque euro donné à l'état, 53 centimes vont pour payer les agents eux-mêmes, c'est à dire que plus de la moitié des impôts et des taxes paye le service effectivement rendu: le policier, l'enseignant, le gardien de musée ou l'équipe médical. Le reste paye les prestations sociales (allocations familiales, etc.), les biens publiques (le Charles de Gaulle, une nouvelle autoroute, une école, ou des tramways) et enfin des frais de fonctionnement. En plus, une bonne part de ces 53% retourne dans les caisses de l'état, sous forme d'impôts et de taxes à la consommation. Un fonctionnaire, c'est rentable!

Avancer que le travail est un coût revient à énoncer un oxymore. L'investissement n'a de sens que dans le travail. Un investisseur donne de l'argent à un entrepreneur pour qu'il ait les moyens de mettre en oeuvre son projet. Ces moyens sont avant tout humains. Si l'entrepreneur pouvait faire aboutir le projet seul, il n'aurait pas besoin d'investisseurs. Mais comme le travail à faire représente plus que ce qu'il peut faire seul il doit faire appel à de la main d'oeuvre, ce qui va épuiser ses moyens financiers propre, d'où le besoin d'investisseurs. Comment l'investisseur pense-t-il récupérer sa mise? En vendant le produit fini. A qui? certainement pas à lui-même, puisqu'il a avancé l'argent de départ. Donc il le vend aux autres. A ceux qui ont besoin du produit, ceux qui ont travaillé à le faire, ceux qui ont travaillé à faire les outils nécessaires à ce produit, etc. C'est en assurant le travail qu'on assure le retour sur investissement. C'est pourquoi un investisseur qui place un euro à l'étranger a tout intérêt à en placer trois chez lui. S'il avance que seul l'étranger vaut la peine de recevoir des investissements il ne pourra plus vendre son produit chez lui. Et il se tire une balle dans le pied.


Si les entreprises ne veulent plus investir en France, l'état doit devenir l'investisseur d'ultime recours. C'est le grand avantage qu'à la France - et tous les autres pays d'Europe, d'ailleurs - sur les Etats-Unis d'Amérique. Aux Etats-Unis, l'état peut faire les dépenses nécessaires aux besoins collectifs (ces dépenses manquent cruellement, de part et d'autre de l'Atlantique), mais c'est tout. En Europe, on peut faire ces dépenses également, mais un pays peut aussi investir dans son économie et tirer les bénéfices de cet investissement. L'état non seulement peut bénéficier du chiffre d'affaire, mais il récupère une bonne part de sa mise par le biais des impôts et des taxes à la consommation, tout comme il le fait pour les fonctionnaires. Du coup, il peut tabler sur des échelles de temps bien plus long pour assurer la rentabilité de ses investissements; il peut penser bien plus aux besoins réels et bien moins à la rentabilité immédiate, car la rentabilité à court terme est assurée autrement. Un investissement pour un état comporte nettement moins de risques que pour un investisseur privé. Le secteur privé n'a que les revenus du chiffre d'affaire pour récupérer sa mise et donc devient bien plus conservateur pour assurer sa survie.
Qui dit que les caisses sont vides?

Malheureusement, loin d'investir, l'état désinvestit dans l'économie. Les vingt, voire les trente dernières années sont dominées par les dénationalisations. Les banques, TF1, Renault, Saint-Gobain, EDF, GDF et bien d'autres entreprises publiques ont été transférés au privé. Si leur ventes ont mis du beurre dans les épinards ponctuellement, personnes ne s'est demandé comment remplacer les revenus que généraient ces entreprises sur le long terme. Le déficit de l'état est bien plus un problème de chutes dans les recettes que de dépenses "galopantes". Les pertes de revenu des entreprises publiques en sont une raison importante.

Ces dénationalisations arrivent en même temps que les désinvestissements du privé dans l'industrie en France, ce qui entraine une perte de recettes encore plus importante: la réduction de l'assiette d'impôts, c'est à dire du nombre de personnes payant des impôts sur leur revenu: plus il y a de chômeurs, moins il y a d'imposés, et moins il y a d'argent qui entrent dans les finances publiques; c'est arithmétique. Comme ces chômeurs dépensent moins, il y moins d'impôts indirects également. A cela, il faut rajouter le gel des salaires ainsi que le recours de plus en plus systématique au temps partiel, et les embauches bien au delà des capacités réelles des candidats: le sous-emploi, qui plombe d'autant les recettes de l'état. Moins les gens gagnent, moins ils payent d'impôts.

Ce n'est pas les taxes indirectes qui parviendront à compenser ces pertes. Les taxes indirectes, telles que la TVA ou la TIPP sont liées à la consommation, et par conséquent liées à la capacité de consommation d'une société. Les hauts revenus ne peuvent pas consommer assez pour justifier la taxe et les revenus modestes sont limités par leur modestie même. Toute augmentation de la TVA serait annulée par le recul de la consommation.

Ah, les petits cubes...
C'est en augmentant ses dépenses que l'état réduira son déficit. Que ce soit la France qui agit seule (ce qui serait déjà bien), ou de concert avec le reste de l'Europe (ce qui serait encore mieux), il faut une politique volontariste d'intervention dans l'économie, c'est à dire des dépenses. Ces dépenses doivent être maîtrisées, bien sûr. Elles doivent être ciblées pour répondre aux besoins d'intérêt général, qu'il s'agisse du court terme (investissements dans l'équipement, l'éducation, la santé; reprise en main des finances) ou du long terme (nouvelles technologies pour répondre aux problèmes d'énergie  ou d'environnement; restructuration agricole pour les besoins d'eau et pour réduire la pollution) seul l'état a les moyens et le recul nécessaires pour y parvenir. Mais ces augmentations de dépenses seront compensées par les augmentations de recettes fiscales d'abord, économiques par la suite.

Ces dépenses doivent être en outre compensées par le retour à une fiscalité progressive, les recettes de l'état augmenteront et donc attireront par la suite le privé qui saura être assuré du retour sur investissement. De même que comme l'état peut récupérer une part de sa dépense par la fiscalité, de même le privé peut récupérer une part de la fiscalité progressive exigeante par l'achat de bons d'investissement du trésor public. La boucle serait bouclée.

Or, c'est l'inverse qui s'est produit. Arrivé au pouvoir en 2000, Bush a fait évanouir le surplus que lui a laissé Clinton en faisant baisser les impôts sur les plus haut revenus. En 18 mois, le pays s'est trouvé avec un déficit record, et aucune amélioration dans les services publiques. Au contraire, même: les services de police ont raté l'infiltration islamiste, tellement ils étaient devenu nuls. En France, on fait la même chose: le bouclier fiscal, la suppression des taxes d'entreprises, les heures sup' défiscalisées n'en sont que des avatars récents. Et les services publiques en pâtissent: écoles surpeuplés avec des classes dans un état de décrépitude avancé, routes enneigés avec une voie déblayée, de plus en plus d'affaires de justice gérées par de moins en moins de magistrat... C'est à croire que l'état mène une politique délibérée d'autodestruction.

On justifie la politique d'austérité comme une nécessité pour rétablir la confiance des marchés. Or avec l'austérité, on voit plutôt une course effrénée des marchés vers la porte de sortie. On pourrait croire à l'efficacité de cette politique si elle était suivie par une entrée massive de fonds d'investissement dans des pays comme la Grèce ou l'Irlande, qui l'appliquent à la lettre. C'est le contraire qui s'est produit. Depuis la mise en place d'une politique d'austérité, la Grèce a vu son crédit dégradé au niveau d'un investissement toxique et une disparition quasi totale des investisseurs, ainsi qu'un taux de chômage équivalent à celle de la grande crise des années trente. Même à des taux exorbitants, personne ne veut acheter des bons grecs, car rien ne garantit le retour sur investissement. En effet, peut-on avoir confiance dans une personne dont les recettes ne cessent de diminuer, et qui fait tout pour diminuer ses recettes?

... du faux!
Nous revenons à notre comparaison avec une banque qui accorde un prêt à un ménage: il fixe son accord sur la capacité qu'a ce ménage à rembourser. De même que la banque rechigne à faire un prêt à quelqu'un dont les revenus sont en baisse et qui passe son temps à claquer son fric, de même il rechigne à prêter à un état dont les revenus ne cessent de se réduire, et dont les politiques accélèrent cette baisse plus qu'autre chose.

S'il faut une politique "d'austérité", cette austérité doit être partagée par tous, sous la forme d'une fiscalité fortement progressive: plus tu gagnes, plus tu payes d'impôts proportionnellement. Lorsqu'une personne cent millions d'euro, et en laisse 90% à l'état, cela lui laisse dix millions d'euro; l'impôsé ne sera pas sur la paille pour autant. Les abattements fiscaux doivent également être établi en vue de l'intérêt général: en  réinvestissant dans des entreprises à forte main d'oeuvre en France, tes impôts seront réduits d'autant. Mais il faut surtout rappeler que servir l'intérêt général, revient à servir son intérêt particulier. Avec les impôts, on construit les routes qui transporteront les marchandises, on construit les écoles qui formeront les employés à venir..

Mais la plus grande austérité sera celle imposée à l'état même qui devra assumer une dette conséquente pour financer la relance. Le paradoxe c'est que, une fois lancée l'économie résorbera automatiquement la dette. Cela se voit aujourd'hui en regardant la santé économique de pays qui l'applique, telle que l'Argentine ou l'Islande; même le stimulus package au début du mandat d'Obama, quand bien même largement insuffisant, a aidé le pays à éviter le pire. En Europe, comme en Amérique, on n'a jamais vu le peuple plus riche, l'économie plus saine, les finances plus stables que lorsqu'il y avait des salaires élevés, une fiscalité progressive et une politique économique interventionniste.

On ne voit guère que deux personnes en France qui aient saisi même partiellement le sel de ce paradoxe: Villepin pour l'investissement public dans l'industrie, et Mélenchon pour le besoin d'une fiscalité progressive. Ce serait intéressant de voir le PS se mettre entre les deux pour créer la dynamique nécessaire et relancer l'économie, et réellement rétablir la confiance.

mardi 8 mai 2012

Après la bataille..

C'est vrai que quand on bosse dans les salles d'un musée, il n'y pas grand chose à faire de sa journée à part discuter. Et j'adore discuter. "Tu as la tchatche", me dit ma femme. Et c'est vrai que je suis capable de passer un bon moment à discuter de tout et de n'importe quoi avec un passant dans les salles. Les visiteurs sont une source intarissable de discussions. Mais c'est avec les collègues que l'on peut avoir les meilleures conversations: des conversations qui durent des jours entiers. Le problème vient quand on commence à discuter par blog interposé. Je n'ai pas toujours le temps de m'asseoir pour rédiger une réponse. Et mes postes tardent à venir. Mais, parfois, il faut y aller!

*       *       *

Voilà qu'un pote durant l'élection présidentielle m'apostrophe au beau milieu de son apologie de Sarkozy:

« Moi, les banques, je les aurais laissées s’effondrer », me disait un collègue cégétiste et néanmoins ami du musée (oui, parce que moi, j’ai des amis d’extrême gauche…). Mais bordel, Francis, si ta banque s’effondre, tu t’effondres encore plus ! C’est facile à comprendre, ça, non, que des pauvres comme nous ont besoin de riches comme eux ?

Bon, je reconnais que j'avais sorti la phrase un peu en provoc'. Fallait-il laisser tomber les banques? Est-ce que la situation aurait-été pire qu'elle l'est actuellement? Ben, la question peut se poser, quand on voit l'Espagne avec un taux de chômage comparable à celle de la Grande Crise des années 1930. On peut légitimement se demander si le sauvetage des banques leur a évité le pire. Même les Grands Sages de l'OCDE commencent à se demander s'il n'aurait pas mieux valu laisser tomber les banques...

Sarkozy s'est présenté comme le champion de l'austérité nécessaire et la pensée libérale (même s'il s'est gardé de l'appliquer à la lettre). Il est en somme, un nouveau Reagan. Comme Reagan, il a postulé la justesse d'un bouclier fiscal, et comme Reagan, il l'a fixé à 50%; comme Reagan, il a supprimé la taxe sur les entreprises, et comme Reagan, il a montré un sens pragmatique et concédé des points à une opposition en augmentant les impôts à des moments clefs. Mais sa pensée centrale, son idéologie est de réduire la présence étatique et favoriser le secteur privé.

Le problème, c'est qu'une telle politique anéantit la notion d'un contrat social et le remplace par une logique du plus fort. Je trouve qu'au nom même de cette idéologie libérale, au nom même de la réduction de l'intrusion étatique dans les affaires économiques, et donc, de la sélection naturelle économique (ce qu'on appelle le darwinisme sociale) qu'il fallait laisser tomber les banques. Les mauvaises entreprises font faillites; les bonnes prennent leur place. C'est dur et c'est cruel, mais la règle du jeu. Mais la nature est dure et cruelle; et comme mon copain auteur de l'article se plaît à me le rappeler: la nature, c'est l'intrusion du réel.

En Islande, un des paradis fiscaux de naguère, on a bel et bien laissé tomber les banques; on a même rappelé les banquiers à l'ordre, les condamnant pour détournement de fonds. On a même écrit une constitution plus socialement juste. L'Islande se porte comme un charme. tandis que l'Espagne et l'Irlande qui appliquent l'austérité à la lettre voient leurs économies plombées et leur crédit effondré. Peut-être que le modèle islandais mérite qu'on se penche un peu dessus.

Qu'ont-ils fait, à vrai dire? Ils ont laissé les banques s'effondrer, mais ils ne se sont pas contenté de regarder les décombre: ils ont maîtrisé l'effondrement. Ils ont laissé les grands institution financières faillir, mais ont  sauvé les banques qui assurent la véritable économie, celle qui finance l'industrie et s'occupe de l'épargne des gens. Ils ont même fait plus: ils ont soumis ces institutions à la loi. Ils ont mis les filous sous les verrous.

En Islande, le sauvetage des banques s'est fait sous des conditions draconiennes, et c'est ainsi que le sauvetage des banques aurait dû se faire dans le monde entier. En Islande, ils en ont profité pour rétablir le contrat social et mettre fin à la loi du plus fort. Ailleurs, ils ont sauvé leurs potes pour qu'il puissent encore et toujours démanteler le contrat social.

Je ne vois pas enfin à quoi les riches peuvent m'être utiles: est-ce qu'il assurent ma santé et celle de ma famille, de mes amis ou de mes concitoyens? Est-ce qu'ils financent ma retraite? Est-ce qu'il nettoient les accident pétrolières en Afrique? Est-ce qu'il reconstruisent les Appalaches? Est-ce qu'ils font au moins leur boulot, qui est d'investir près de chez moi pour assurer l'embauche et donc stimuler la croissance?

Je trouve bien plaisant qu'il disent que les états ne doivent pas assurer la sécurité de leurs peuples mais doivent tout laisser tomber pour les sauver de leur propre merde. Nous avons raté la dernière occasion pour rétablir l'équilibre entre la société et l'économie. Espérons que nous pourrons saisir la prochaine.

Car il y aura une prochaine.