vendredi 8 février 2013

Pop Populaire

Un film de fille, un film de cinéphile, jolie comédie romantique, suspense sportif... Populaire est tout cela. Pour les rares qui ne l'ont pas encore vu c'est l'histoire de la jeune Rose Pamphyre (Déborah François) qui veut devenir secrétaire et qui se fait remarquer par son patron Louis Echard (Romain Duris) pour sa vitesse à la machine à écrire, et il en fait la championne du monde. Histoire aussi simple que le monde rétro dans lequel elle se déroule.
En effet, le premier attrait est le côté rétro de la production. C'est plutôt remarquable, d'avoir réussi à reproduire des quartiers entiers de Paris ou New York, autant pour les costumes, les décors, et les accessoires, dont l'accessoire central est un dinosaure: la machine à écrire. Il est certain que le film surfe sur les succes à reconstitution onirique que sont Amélie Poulain, Pleasantville, The Artist, OSS 117, L'Illusioniste, J. Edgar ou The Help. Le succès des adaptations-reconstitution actuelles d'Agatha Christie en sont l'exemple le plus flagrants de la force de cette tendance. Le film même est vendu par son aspect référentiel: Rocky chez les dactylos (ils ont dû bien se marrer en écrivant!).

Régis Roinsard, pour remplir le contrat, s'amuse visiblement à jouer dans la citation et le pastiche. On retrouve Minnelli et Gene Kelly, Le Pat and Mike de Cukor, Vertigo de Hitchcock... Même les personnages se construisent par des systèmes inavoués de référence. Bob (Shaun Benson), le voisin américain, vit sa vie comme une série télé, en bon père de famille gagne-pain, avec de beaux enfants, et une femme qu'il aime et qui l'aime. En France, on ne connaît pas Leave it to Beaver, mais les séries de familles dominaient la télé américaine à l'époque. La boucle est bouclée. (A cet égard, il est, à notre sens, un véritable régal de redécouvrir le plaisir d'un générique qui campe autant les thèmes essentiels que l'esthétique général du film. De nos jours, on préfère rejeter le générique à la fin et c'est dommage...)

Bien des critiques reprochent cette reconstitution à Roinsard, mais ce dernier pointe du doigt la réalité des films dits 'historiques': on ne se souvient pas d'une époque, mais des images qu'on en garde. Comme le classicisme de Stravinsky ou les alexandrins d'Aragon, c'est une reprise en clin d'oeil. Roinsard ne s'y trompe pas. S'il cherche à faire un film à l'ancienne, c'est pour établir un ton particulier. Quand on se souvient des années cinquante, on pense à l'époque où l'Amérique s'impose à la France sans que la France s'en sente menacé (à cet égard, De Gaulle était prémonitoire). L'ancienne France est finie, la nouvelle se reconstruit et, comme le prouve la compétition, peut encore tenir tête au colosse américain. On ne pense pas à la fin de la guerre d'Indochine ou des débuts de la guerre d'Algérie, on pense au technicolor, on pense à Marylin Monroe, Grace Kelly ou à Chantons sous la Pluie, ou des plans sulfureux de Vertigo.

Tout cela, n'en déplaise à certains rabat joie, c'est loin d'être aussi facile qu l'on croit: un seul faux accessoire, une fausse tache de couleur et le tout s'écroule. Il faut saluer travail de Roinsard et celui de son directeur de la photo, Guillaume Schiffman, d'avoir rendu la luminosité à la couleur. Les films actuels de reconstitution reste souvent très gris (J. Edgar) ou bien à dominante monochrome (Gangs of New York). Ici, on redécouvre la volupté du dialogue des couleurs. Citons en exemple la tâche verte de la petite machine à écrire que Rose choisit d'utiliser lors de l'ultime compétition. On ne voit qu'elle dans l'océan de rouge et de rose alentour. D'un bout à l'autre, l'équipe entière parvient à nous faire oublier l'univers terne des film actuels pour retrouver la nostalgie de la Dernière Séance, série anthologique de films présentés dans un décor des années cinquante par Mr. Eddy lui-même, qui vient ici tenir un rôle savoureux de patriarche franchouillard et en fin de compte sympa. Les vers d'Aragon sont toujours exacts.

Mais à force de parler de références, on perd de vu le film. Tout en reprenenant le monde technicolor des comédies de l'époque, il est étonnemment physique, voire sensuel - et pas à la manière des films de l'époque. Le toucher domine le film à un point qui serait inimaginable à l'époque, à commencer par la main. Comme la dactylographie est avant tout un exercice de doigté, l'intrigue offre à la main une place visuelle inédite: le rendez-vous noté sur la main du patron, qui vient ressurgir durant le match de tennis; les mains que Louis vient vérifier après la chute de vélo de Rose; les ongles colorés pour préparer l'entrainement; les massages des doigts fatigués de la jeune Rose; le jeux de couteau atour des doigts de Louis, suivi du pansement fatalement nécessaire; les mains de Marie (Bérénice Béjo), la prof de piano (et premier amour de Louis) dirigeant les doigts de l'héroïne; le doigt d'honneur de la championne de France; la cascade de mains pour faire apparaitre Rose; et, enfin, la véritable déclaration d'amour faite par les mains lors du dîner à table la veille de Noël.

Après les mains le reste du corps semble aller de soi: la chemise mouillée sous la pluie quand Rose tombe son vélo; les jeux de jambes de Rose qui attend l'arrivée de Louis dans sa chambre, les positionnements du corps devant la machine à écrire, avec les mains (encore) de Louis allant (tendrement, presque malgré lui) des épaules de Rose à ses coudes. Tout au long du film, le corps n'hésite pas à crier haut et fort l'évidence que la tête refuse d'admettre. Lorsqu'il dansent leur tango, Rose et Louis s'il ne sont pas exactement synchrones, ils se répondent: ils 'vont ensembles,' ils se complètent. L'un sans l'autre n'a pas de sens. La scène d'amour avant le championnat de France prend donc toute sa force comme point culminant de ce corps à corps.

Et quel meilleur sujet donc pour une histoires de corps qu'une histoire d'athlète? Comme pour tout film de sport, on a un film sur les relations entre un entraineur et un athlète. On retrouve Rocky, mais on retrouve aussi Pygmalion, mais avec un caractère bien plus âpre: du début jusqu'à la fin, c'est un jeu de manipulation: Louis fait et dit exactement ce qui doit être fait et dit à Rose pour en extraire sa victoire, jusqu'à la repousser, jusqu'à sa déclaration ultime. Il décèle son talent, la peaufine (au début du film, détail cocasse, Rose tape avec une rapidité extraordinaire avec deux doigts; c'est Louis qui lui montre les techniques du clavier avec tous les doigts, et elle finira par taper plus vite que la machine), l'entraine au sens propre vers ses premiers matchs et ses premières victoires. Il lui donne la confiance de l'amour et, à son corps défendant (c'est le cas de le dire), la repousse, ce qui lui permet de voler de ses propres ailes. Il est intéressant de remarquer à qui 'appartient' chaque victoire: la première est la victoire partagée par Rose et Louis, le fruit de mois d'entrainement et de perfectionnement; le deuxième est à Louis, qui doit l'arracher de Rose, geste qui le retourne et qui le fait quitter la salle tellement il est effrayé par le regard noir deque lui jette Rose et qui finalement coûtera leur vie d'équipe; la troisième victoire est à Rose, au moment où de jeune fille elle devient femme, heureuse, indépendante et accomplie, où donc elle a une rage de vaincre qui se lit dans son visage, dans ses giffles qui le sert de renvoie de rouleau, ou rien, meme pas l'emêlée des touches ne l'empêchera de gagner.

L'émancipation de Rose vient de sa découverte qu'elle n'a pas besoin de Louis pour réussir son exploit. Si lors de sa première victoire elle regarde du côté de Louis pour reprendre confiance, à la fin, elle décide de jouer selon ses propres règles et se présente avec la machine qui l'a révélée à elle-même. Le vrai champion gagne à jouer par ses propres règles. Louis sait qu'elle n'a plus besoin de lui pour gagner; il en est même fier, ce qui fait la force de sincérité de sa déclaration finale: on voit bien que même si Rose perd le championnat, il l'aimera. Louis, athlète raté, voit en Rose la championne qu'il avait toujours voulu être. Il voit en elle son aboutissement. L'entraineur en fin de compte a bien plus besoin de son athlète que l'inverse.

Mais il est celui qu'elle a choisi. Rose n'a pas besoin de Louis pour gagner; elle a besoin de lui pour s'accomplir, pour vivre. Et pour l'avoir, il va falloir qu'elle apprenne aussi à le lâcher. "C'est difficile d'être une championne, dit-elle sur la tombe de sa mère, c'est déjà difficile d'être simplement une fille". Pour elle, le choix est fait dès ce dîner de Noël, où Marie la présente comme la fiancée de Louis (et puis s'en va). Rose n'hésite pas un instant à le défendre face à son futur beau-père. Si douleureux que soit leur séparation, il est nécessaire, pour qu'elle devienne la championne dont rêve Louis.

Car, pour Louis c'est plus compliqué. Rose c'est son poulain, sa championne. Ce championnat est même plus important que tout le reste, au point qu'il décide de la repousser, pour qu'elle puisse réussir au mondial. Mais cette compétion est aussi un pretexte pour éviter d'avoir à avouer ses sentiments, qui sont pourtant là depuis le début: quand il en chante les louanges à Bob; quand il ne quitte pas des yeux (pour ne pas dire la dévorer des yeux) durant la première compétition. "Pourquoi veut-on toujours décider à ma place," s'énerve-t-il. Mais la réponse est évidente. Louis ne sait pas choisir, ne sait pas saisir les occasions. Et finit par fuir. "J'avais peur" dit-il à Marie. "On a tous peur" lui répond-elle. Sa vie se définit par des non-choix, qui deviennent des choix par défaut. Et sa vie bascule lorsque, sans vraiement s'en apercevoir, il fait un choix: celui de lancer Rose dans la compétition, de la former de l'entrainer, et enfin de la choisir elle pour ce qu'elle est.

Populaire n'a pas de grand message à passer, ni même de combat véritable à mener. Il un des rares film sans méchant. Il y des goujats, des vauriens, des pusillanimes, des décidés, bref des gens comme vous et moi. Mais il n'y pas d'antagoniste, il n'y parsonne qui cherche à empêcher la réussite de notre héroïne. Certains critiques ont reproché le manqe de références à l'Algérie, ou même son machisme. Mais ce n'est pas un film sur les années cinquantes. C'est un film qui se passe aux années cinquante. Quant aux accusations sur le machisme, n'oublions pas que Louis n'hésite pas à faire la cuisine et le ménage. Et pour Rose, être secrétaire est une véritable réussite sociale. Le point de départ pour tout le reste. Mais là encore, ce n'est pas véritablement le propos. Ce n'est pas un film sur l'ascension sociale des femmes. C'est un film sur un fille qui tape à la machine plus vite que son ombre. Ce n'est peut être pas un grand-film-important, mais c'est un beau film et c'est un bon film. C'est un de ses rares films magiques qu'on a envie de revoir car on a envie de revoir les personnages comme on a envie de revoir des amis. C'est enfin un de ses films sans prétention qui, sans en avoir l'air, offre un regard juste sur les choses de la vie.