jeudi 22 septembre 2011

Aventures et avatars du court Métrage



Aucun autre format n’a autant subit les vicissitudes du cinéma que le court métrage. Pourtant à l’aube du 7ème art, seul le court a accès au grand public. A cette époque, on loue les films au mètre, et ainsi une salle peut plus facilement varier son offre. Le conservatisme des dirigeants fait le reste. Selon eux, le publique n’acceptera pas qu’un film ne dure plus de dix minutes, soit la durée d’une bobine de film. Le premier « Trust », formé par Thomas Edison, s’assure que tous suivent la règle du tout court. Que l’on ne s’y trompe pas : Méliès et Pathé siégent au Trust ; il s’agit d’un monopole d’envergure mondial.

C’était le bon vieux temps, l’age d’or du court. Tous les grands cinéastes de cette première époque font leurs gammes sur le court. Griffith en tourne deux par semaine pendant sept ans avant de ruer dans les brancards – et de se cacher en Californie pour tourner son premier long métrage. Et quel long ! Ce sera La Naissance d’une Nation[1], au succès phénoménal qu l’on connaît. Ce sera par le biais des longs métrages que les futurs majors parviendront à abattre le Trust. A la fin de la  première guerre, tout le monde tourne des longs métrages, comme si on en faisait depuis le début.

Assez vite, le court est relégué au second plan, et devient un amuse-gueule qui apprête le grand film de la soirée. Ces grands films sont souvent des aventures ou des mélodrames et le court se transforme alors en amuse-gueule comique. Ce seront les auteurs comiques qui accèderont en dernier au statut principal que confère le long métrage. Le projet initial de Chaplin pour Charlot soldat est de faire un long mais il n’arrivera pas à trouver le soutien nécessaire, et le film sera réduit à la durée qu’on connaît. Chaplin devra attendre 1921 pour imposer le Kid en six bobines (soit une heure de film).

Si le court perd la première place dans les salles, cela lui permettra une large marge de manœuvre expérimentale. Le court est en somme forcé d’être plus audacieux que le long. Ceci est particulièrement visible dans le domaine de l’animation. Alors que le procédé technicolor est mis au pont dès 1925 avec la couleur à deux bandes, suivi de la couleur à trois bandes au début du parlant, il ne doit sa survie qu’à son utilisation dans l’animation et en particulier à Walt Disney. Dès le début de la deuxième guerre mondiale – et vingt cinq ans avant la fin de l’usage régulier du noir et blanc dans le long métrage – les dessins animés ne seront tournés qu’en couleur.

Le court – même en animation - finira par être exclu du grand écran. Aujourd’hui, plus aucun film n’est précédé d’un court métrage (il y a même un groupe sur Facebook qui cherche à rétablir le court au début des séances). Cette exclusion est pour ainsi dire institutionnalisée, lorsqu’on sait que seul un court agrémenté d’une « autorisation de production » peut être diffusé en salle. Seul un film tourné par une société de production dûment constitué, avec un capital de base (une bagatelle de 8000 €- qui ne compte pas pour le tournage soit dit en passant), capable de payer, au tout au moins offrir un « intéressement » à son équipe et aux acteurs, peut prétendre à une telle autorisation. Or, quel financier sain de corps et d’esprit serait prêt à capitaliser un projet qui n’a aucun débouché apparent ? La mise en place du court est de ce fait dominée par le système D[2].

La disparition progressive de l’accès aux salles se fait en même temps que l’arrivée et la monté en puissance de la télévision qui devient le débouché privilégié du court métrage. Le court était, on peut presque dire par nécessité, à l’avant garde du développement de ce médium. Mis au point à la fin des années trente, la télévision fait son apparition dans les foyers à l’issue de la Guerre. Le court devient par sa taille, sa souplesse et sa variété, un candidat idéal pour nourrir les premières diffusions télévisuelles. Parmi les premiers « classiques » de la télévision, on trouve plusieurs séries d’anthologie de court-métrages,  comme La quatrième dimension. La télévision s’est nourrit de ces rebuts du cinéma : Le journal télévisé, le vaudeville (Le plus grand Cabaret du monde), le documentaire, la série à personnages récurrent (La petite maison dans la prairie). Le court se voit concurrencé par cette dernière. Les deux formats de fictions coexistent jusqu’aux années soixante-dix, avec à l’époque quelques tentatives curieuses d’hybridation, comme la Croisière s’amuse.

Le court sera enfin de compte chassé du petit écran. De nos jours il n’en reste que des vestiges, comme la collection schlussklap d’Arte. France3 en diffuse dans la nuit, ou au petit matin, c’est selon, un peu pour égaliser ses horaires. Le court métrage, pour subsister, doit de nouveau chercher un territoire pour s’implanter. Il découvre un nouvel essor sur l’internet, qui a cette particularité que tout lecteur devient un auteur potentiel, tout spectateur un cinéaste en herbe. L’internet est le médium de l’émulation permanente. On se souvient de la conversation entre Picasso et Braque au début du siècle dernier : par cette conversation les deux artistes ont progressé à pas de géants ; de cette conversation est né le cubisme, et pour ainsi dire tout l’art du vingtième siècle. L’internet permet non seulement à deux artistes de se confronter, mais toute une génération d’artistes de développer leur médium de choix : le texte, la musique, la photo, le jeu de rôle,  le cinéma et de le présenter instantanément à son publique.

L’internet est le médium de l’expérimentation, est donc le médium idéal pour le court métrage. Car le court est le format de l’expérimentation cinématographique. Le court est en fin de compte plus exigent que le long. Comme une nouvelle en littérature, le court n’a pas le luxe du temps mort narratif. Les personnages et la situation doivent être campés immédiatement, le discours doit aller droit au but. Le court ne peut pas supporter un plan inutile. La cheville visuelle est autant à proscrire dans le court que la cheville métrique dans le sonnet. C’est dans ces courts que Griffith a exploré les possibilités du montage et du cadrage. C’est dans les courts que Chaplin a développé Charlot. Le long peut amplifier les découvertes du court, mais c’est dans l’économie des moyens que le court justifie tous les audaces. Enfin, un court métrage n’est pas une ébauche, mais un film à part entière.

Ce dont souffre le plus le court métrage, c’est le silence assourdissant dont l’entoure la presse cinématographique généraliste. Le court a des revues qui lui sont consacrées tel que Bref, éditée par l’agence du court métrage, mais rares sont les magazines tel que Positif ou Première qui lui consacrent une page, un article ou encore moins un dossier de presse, si ce n’est pour pleurer sa disparition.

Il serait en revanche prématuré d’en faire sa nécrologie. Faire un court est un parcours de combattant ; une fois terminé c’est un nouveau parcours de combattant pour le diffuser. Mais on ne cesse de tourner des courts métrages. Cette rage de faire se dédouble d’une inventivité sans bornes. Ce n’est pas le nouveau blockbuster, mais dans le court que l’on découvre l’ordinaire de demain. 

Regardons de plus près ce vénérable gaillard qui a découvert la fontaine de jouvence.




[1] Notons, pour l’exactitude historique, qu’il ne s’agit pas de son premier long métrage, encore moins le premier long métrage de l’histoire du cinéma. Les italiens, dès les débuts de la deuxième décennie, se mettent à tourner de somptueux péplums qui marqueront fortement Griffith. Son premier long sera en fait une histoire biblique Judith and Bathseba mais qui sera interdit de diffusion par sa compagnie la Biograph, qui en tant que membre du Trust ne sort que des courts. La Biograph sortira le film un an plus tard à la suite du succès de Nation.

[2] Il est permis de penser que plusieurs manuels de production présentent cette politique comme la norme. Il suffit d’une lecture en diagonale des pages sur le financement dans le fascicule intitulé Produire des courts métrages par Céline Maugis (édition « collection tournage ») pour montrer comment financer un court est un véritable château de cartes : Céline Maugis commence par le financement public, c’est à dire les régions et le CNC (met omet le fait que le CNC ne traite qu’avec des sociétés de production - voir plus haut), et parle ensuite des institutions prives, en particulier les chaînes de télévision, où elle conclu avec la phrase suivante : « la plus grande partie de ces sommes vous sera versée une fois le film achevé » (page 49). Je croyais qu’elle parlait du financement d’un projet… On ne prête qu’aux riches, après tout…


lundi 30 mai 2011

Alice Guy au Musée d'Orsay

Alice Guy
L’Inventeur du Cinéma

Ce serait une erreur de dire d’Alice Guy qu’elle est la première femme cinéaste. Cela laisse sous-entendre qu’il y avait un homme qui l’a précédée. Ou dix. Ou cent. Mais quel homme l’a précédée ? Les frère Lumière ont tourné des films pour vérifier et faire valoir leur invention, le cinématographe. George Méliès se procurera à son tour un cinématographe pour l’utiliser comme extension de son spectacle de magie. C’est Alice Guy qui la première aura saisi la véritable importance de cette nouvelle technique : les images en mouvement sont un moyen d’expression, un médium de création autre, qui aura ses codes et ses significations. Sous la main d’Alice Guy, le cinématographe devient le cinéma.
Il est bien sûr difficile d’établir une chronologie exacte des débuts du cinéma. Nous avons perdu près de neuf dixièmes de tous les films de l’époque du muet. On en retrouve, on en restaure, et on réédite ces films petit à petit, mais il faut se résigner au fait que la majeur partie des premiers films sont à jamais perdus. A cela, il faut ajouter que les listes établies à l’époque même sont le plus souvent approximatives. Il est du coup difficile de fixer qui a fait quoi aux débuts du cinéma. De son propre aveu, elle n’a pas fait le premier film de fiction : elle fait même remarquer que L’arroseur arrosé des frères Lumière précède ses propres films, ainsi que les films de fiction de Méliès.
Mais à regarder le film des frères Lumière, on s’aperçoit que le film ne dépasse pas l’anecdote. Or qui, sinon Alice Guy, est la première personne à remarquer que ce qu’on voit et ce qu’on regarde ne sont pas la même chose ? Dès ses premiers films, la tension entre ces deux niveaux de lecture est apparente. Des films datant de 1898 illustrent déjà des thèmes récurant dans l’œuvre d’Alice Guy : le travestissement et les présupposés inhérents aux apparences. Chez le magnétiseur montre un hypnotiseur que subjugue une jeune femme, puis à l’aide de magnétisme la déshabille, pour nous faire découvrir que la femme est un homme. Dans L’Utilité des rayons X, une femme enceinte se fait interroger par la douane, qui la passe aux rayons X. On découvre alors que son ventre est plein de contrebande. La ‘femme’ est alors déshabillée et sa contrebande saisie, par un procédé d’arrêt sur image. Le film truqué à la manière de Méliès est ici utilisé pour démontrer qu’il ne faut pas se fier aux apparences(1).
Un autre exemple, que l’on peut voir sur l’internet : deux personnes font des pas de danse et finissent en s’embrassant : cela peut paraître anodin, sauf que l’une est femme en habit de femme, et l’autre est une femme en habit d’homme. Que regarde-t-on ? Le site web où l’on peut trouver le film le présente sous le titre de ‘Alice Guy lesbienne’. Mais l’appellation est réductrice. Alice Guy était tout à fait consciente de cette tension, mais ce n’était pas le cœur de son propos. Elle s’intéresse plutôt à nos perceptions des rôles des uns et des autres dans une situation donnée.
L’usage du travestissement n’est qu’un moyen dans son arsenal pour souligner le caractère anti-naturel de ces perceptions. La simple lecture du scénario d’Algie the Miner, tourné en 1912(2), montre comment elle se sert de la tension homosexuelle pour démontrer comment la société impose des rôles aux sexes. Au début du film, Algie est un homme efféminé, et le père de sa fiancée ne veut pas d’un tel homme comme gendre. Il accepte la demande en mariage pour sa femmes seulement si le jeune homme part à l’Ouest pendant un an pour
devenir un homme. Là, le jeune homme rencontre Big Jim, qui le formera à une vie masculine. Les deux hommes feront fortune et à la fin du film, Algie viendra reprendre sa promise, en tirant dans l’air et en exigeant ce qui est son dû. Alison McMahan considère que la présence de la promise n’est qu’un prétexte un ‘cache sexe’ pour parler d’une histoire d’amour entre deux hommes(3). Il me semble plutôt que la présence de la femme est essentielle. Chez Alice Guy, les rôles des sexes sont prédéterminés : nous nous conformons à des codes de conduite.
L’idée de perception ne se cantonne pas simplement aux sexes et peut prendre une dimension social. Le Billet de Banque tourné en 1907 annonce sur bien des points les films de Chaplin huit ans plus tard, autant au niveau stylistique que thématique. Dans ce film, un clochard sauve un couple de bourgeois de l’agression de malfrats. L’homme le remercie en lui donnant un gros billet. Notre clochard commence par s’arrêter à un café pour commander une absinthe, quand il doit payer, la tenancière refuse de croire qu’il s’agit d’un vrai billet, et lui demande de partir. Il va ensuite à un restaurant, où il commande un repas entier. On refuse de croire qu’il peut payer et on le porte au juge, qui le relâche. Il finit par piquer les habits d’un autre bourgeois, mais oublie de prendre son billet. Il retourne au restaurant et on lui sert un autre repas. Quand il faut payer, il ne trouve plus son billet, et se fait conduire (nuance) devant le juge. Où il retrouve le bourgeois en train de porter plainte. Le juge lui ordonne de rendre les habits, mais aussi lui fait de la monnaie. Dans ce film, seul le juge voit le clochard à sa juste valeur. Chez Alice Guy, comme chez Billy Wilder trente ans après, l’habit fait le moine.
Dès le début, les films d’Alice Guy sont ouverts à des interprétations multiples. Cette question de la perception traverse l’œuvre de Guy. Peut-on attribuer à Méliès ou aux frères Lumière une thématique aussi sophistiquée ? On peut avancer qu’Alice Guy est la première personne dont la signification de l’œuvre ne se résume pas à l’anecdote des films. Si au début de sa carrière elle participe a l’effervescence créative des premiers temps, où les films sont tournés et copiés les uns par les autres au point qu’aujourd’hui encore on se perd dans la primauté créative d’un cinéaste ou d’un autre, on peut constater dès les premiers années du siècle dernier que les films de Guy prennent une vigueur inattendue, souvent préfigurant les films de la décennie suivante(4). En premier lieu, le cadrage se resserre très tôt chez Alice Guy. Car au début du siècle Léon Gaumont met au point le chronophone, un système pour synchroniser le son et l’image. Il se tournera vers elle pour lui demander de prendre la responsabilité du tournage des films sonores. De 1902 à 1907, elle tourne plus d’une centaine de films sonores pour mettre en valeur la nouvelle technique. Pour faire sentir que c’est la personne à l’écran qui chante, la première chose à faire est de rapprocher la caméra. Du coup, elle utilise le premier plan américain. La trouvaille est capitale : ce plan lui permet de se rapprocher du sujet, sans pour autant perdre de vue le contexte.
Elles seront ensuite appliquées aux autres films qu’elle continue à tourner à l’époque : Madame a des envies est probablement le premier film à utiliser le gros plan dans le déroulement du film. Ce film reprend l’idée qu’une femme enceinte a des envies soudaines. Tour à tour, la dame en question pique une sucette à une fillette, un verre d’absinthe à un bourgeois, un hareng à un clochard et une pipe à un colporteur. On voit en gros plan comment elle profite de ses prises. Son mari, qui pousse une poussette qui contient leur premier enfant essaye d’arranger les dégâts et de raisonner sa femme. La sucette étant particulièrement suggestive, on peut se demander si toutes ses envies sont des envies refoulées. Ce que l’on peut voir surtout c’est que Madame se permet les mêmes attitudes libres qu’ont les messieurs.
Curieusement, Alice Guy n’est pas convaincue de l’efficacité de ce gros plan. La courses aux saucisses s’en moque en montrant en gros plan, au début et à la fin du film, le héros de l’histoire : un chien (une parodie directe du Great Train Robbery d’Edwin S. Porter) Le gros plan appelle le montage, c'est-à-dire la mise en relief de détails importants dans le film. Elle préfère maintenir le plan large, qui laisse au spectateur le droit de choisir ce qui importe dans la scène. Peu après Madame a des envies, et un an avant l’Assassinat du Duc de Guise par Méliès, Alice Guy tourne sa Vie du Christ. Ce film dure 40 minutes et se développe en 25 tableaux (qui pouvaient être distribués indépendamment) inspirés de tableaux de maître tel que Gérôme, Laurent ou Doré, mais elle suit en particulier un livre des Evangiles illustré par James Tissot. C’est un film digne de Cécil B. Demille, avec des centaines de figurants, de somptueux décors et un travail sur l’éclairage inédit, qui met en valeur les fonds de scènes en même temps que l’action principale.
Dans ce film apparaît un geste, qui peut paraître anodin, mais qui est capitale : un panorama, c'est-à-dire la caméra qui pivote sur son trépied pour suivre l’action. Ceci permettra à Alice Guy de développer un cinéma sans coupe, qui laisse primer l’action devant la caméra plutôt que l’intervention du réalisateur. Six ans plus tard, aux Etats-Unis elle tournera l’Américanisé. L’histoire d’un émigré russe qui brutalise sa femme jusqu’à leur arrivée en Amérique, où l’on ne tolère pas de pareille conduite. Dans ce film, la caméra suivra le mouvement des personnages, mais les coupes seront réduites au minimum, soit que la situation change, soit que le cadrage exige un changement de plan. Au milieu du film, à force de brutaliser sa femme, le mari sera conduit en justice, où une longue scène en un plan unique montre la condamnation du mari. Tout ceci n’a rien d’un atavisme vieillot, comme si elle ne pouvait se défaire de ses premières méthodes ; il s’agit plutôt d’un choix délibéré. Ce choix, qui pouvait paraître normal six ans plus tôt devient ici audacieux : Alice Guy peut ainsi juxtaposer dans le même plan l’interrogation du juge, la violence du mari, l’évolution libératrice de la femme, l’indifférence des avocats, l’agressivité des jurés et de la salle… On ne peut que rêver de ce qu’elle aurait fait avec une grue. Si Griffith montre la voie à Eisenstein et les cinéastes russes, Alice Guy annonce de son côté John Ford, Jean Renoir et Orson Welles.
La Vie du Christ souligne un autre aspect de la carrière d’Alice Guy, celle de gestionnaire. En effet, Alice Guy avait commencé sa carrière avec cet aplomb qui lui sera coutumière : en se présentant aux bureaux de Léon Gaumont, on lui fait savoir qu’elle est bien jeune pour un poste d’une telle importance. « Oh, mais cela me passera » dit-elle. Devant une telle évidence, on accepte de la prendre(5). Gaumont n’avait jamais fait de si belle embauche. Elle sera vite la directrice de son bureau, tout en se lançant dans la réalisation de petits films. Ce sera elle qui tournera tous les films de fiction chez Gaumont jusqu’en 1905, l’année de la création du plateau en verre, qui permettra une augmentation de la production. Cette même augmentation de la production la poussera d’abord à embaucher un assistant, et puis à diviser le travail. Alice Guy, tout en continuant à tourner ses propres fils se trouvera à la tête du studio, avec plusieurs réalisateurs sous ses ordres en tant qu’‘assistants’, et elle-même répondant directement à Léon Gaumont et aux administrateurs de la société6. L’ampleur de la Vie de Jésus est particulièrement intéressant, car elle utilisera toutes les ressources à sa disposition. Il y aura un chef décorateur, Henri Menessier, un assistant réalisateur (avec le boulot de réalisateur de deuxième unité ou second unit director, comme on dit en anglais), Victorin Jasset, et un chef opérateur, tous sous les ordres d’Alice Guy.
Cette organisation lui sera d’un secours certain lorsqu’elle prendra en main son propre studio en Amérique. Mais avant de partir, elle aura eu le temps de former toute la génération qui suivra, et en particulier Louis Feuillade.
Alice Guy continuera à tourner jusqu’en 1920. Aux Etats-Unis sa compagnie, Solax Films commencera par faire face avec succès au puissant Trust Américain dirigé par Edison (et dont fait partie Méliès). Ses méthodes de gestion par une division coopérative du travail précèdent ceux de Thomas Ince. Vu le succès de l’entreprise, on peut se demander si ce dernier ne s’en est pas directement inspiré. La Solax fusionne avec l’entreprise de son mari la nouvelle entreprise travaillera avec la compagnie Famous Plays and Players, qui deviendra la Paramount quelques années plus tard. En somme, elle fait le lien entre les premiers films et l’ère des studios. Et elle sera la première à créer et utiliser des stars, ce qui est une autre façon de jouer avec la tension entre ce qu’on voit et ce qu’on regarde. Aucun autre cinéaste de cette première génération n’aura tenu aussi longtemps.
Vers la fin de sa carrière, elle se plaignait de douleurs au bras ; elle aura divorcé de son mari avec qui elle avait auparavant un mariage atypique d’égaux qui pouvaient compter l’un sur l’autre. Le divorce entraîne la dissolution de son entreprise. Fatiguée, elle avait alors décidé de retourner en France. Quelques années plus tard, elle proposera à nouveaux ses services à la Gaumont. Toute l’industrie cinématographique française est au point mort après la guerre. La société lui demande de vérifier l’état de leurs plateaux dans le midi, et elle constate le besoin d’investissement pour les remettre en état. La Gaumont lui propose de participer financièrement à cette tâche, mais elle n’en a pas les moyens. En bref ils lui proposent de payer pour travailler. Cela marque la fin de sa carrière.
Elle n’avait pas pensé à tenter ses chances à Hollywood, et c’est dommage, car on ne peut que rêver de ce qu’elle aurait put faire en Californie : de toute cette génération, elle aurait du être la seule personne qui après avoir assisté à la naissance du cinéma aurait assisté à sa maturité, avec une carrière aussi puissante que celle de Chaplin, son plus digne successeur, et aussi longue et diversifiée que celle de John Ford.
Mais ce qu’elle a réussi à faire est monumental. Sans Alice Guy, la Gaumont n’existerait pas aujourd’hui, et Léon Gaumont aurait été un inventeur parmi d’autres, tombé dans l’oubli. Il avait été coiffé au poteau par les frères Lumières avec leur cinématographe, puis par la vitaphone, dont le système de synchronie entre film et son réussissait sur la voie qu’il avait suivi : le son sur disque. Le son sur pellicule ferait le reste. Alice Guy, à la tête de la première génération de son activité cinématographique, établira le ton de la Gaumont. Et c’est vers la Gaumont et donc vers Alice Guy que les autres compagnies, et notamment Pathé frères, regarderont en cherchant à développer le cinéma narratif.
Vu le nombre de personnes qu’elle a formées ou seulement influencées, on voit que son impacte dépasse son œuvre. Sa façon de travailler en collaboration, alors que la plupart des hommes de cette première génération travaillaient en solitaire, préfigure les méthodes de travail des grands studios : on peut avancer aussi que c’est elle qui a mit au point l’organisation du tournage au cinéma que nous la connaissons aujourd’hui : bien de ses élèves, en France comme en Amérique exporteront ses méthodes de travail.

« Il me semble qu’on pouvait faire mieux (7)», disait elle en parlant des films de son époque. Elle a fait en effet beaucoup mieux. Car alors que nous admirons les Frère Lumières et Méliès pour avoir fait les premiers films, c’est à dire pour avoir montré que nous pouvons faire bouger les images. Avec Alice Guy on découvre que ces images peuvent avoir un sens.
A la différence de ses contemporains, nous pouvons étudier les films d’Alice Guy avec la même attention que nos prêtons à Griffith, Chaplin où à Renoir.
Sans Alice Guy, le cinéma n’existerait pas.
_________________
1 Cf. Alison McMAHAN: Alice Guy Blaché Lost Visionary of the Cinema, 2002 New York, ed. Continuum page 18.
2 Cf. Alison McMAHAN, ibid., page 222. Elle signal, d’après la biographie de Victor Bachy Alice Guy, première femme cinéaste au monde, que le film est officiellement tourné par Edward Warren et Harry Schenck. Alice Guy occupait la tâche de ‘producteur et superviseur de la direction’. Elle en avait donc le contrôle du contenu.
3 Alison McMahan, ibid, page 224
4 Il est intéressant de noter l’article de Robert de BEAUPLAN signé le 9 Novembre 1935 dans le Journal l’Illustration. L’auteur appelle les dix premiers années du cinéma « une grande médiocrité ». Pour lui, seul Max Linder sort du lot. Mais il oublie que Linder aussi a bâti ses films sur les films précédents, souvent en faisant des remakes des films d’Alice Guy parmi d’autres.
5 Cf. Le Jardin Oublié, film de Marquise Lepage
6 Alison MacMahan, ibid., page 120
7 Cf Le Jardin Oublié, film de Marquise Lepage

mardi 3 mai 2011

Now What?


So, Ossama bin Laden is dead, they say.

They say it was over in forty minutes, with a bullet in the brain of the Archdeacon of Evil. A hit worthy of a Tom Clancy novel or a blckbuster movie (you can bet dollars to doughnuts that it'll be both within eighteen months). Two helicopters and a couples of platoons.

Damn.

They should have done that seven years ago. But they didn't. Or more precisely we didn't. Instead, we spent billions of dollars inventing new forces such as Homeland Security, expanding old forces such as the CIA or even the FBI and developping pivate forces to insure our protecton in airpots and other public places. We spent more time and energy policing ourselves than fighting terrorists.

And finally we invaded a country that had nothing whatsoever to do with the inital act - knocking down the Twin Towers in New York - in the first place. All the while continuing to build and stockpiles fleets of ships aircraft and quite an assortment of weapons that will serve no purpose in the task at hand, and be obsolete before they can ever be of any use.

What has that given us? Very little peace: The US alone is waging three wars, France has sent troops to several nations in Africa, and I don't want to guess at what the rest of the world is doing. and it has certainly given us no sense of security. Quite on the contrary. We can no longer meander in a museum without first submitting to a search of our belongings; places like the Sorbonne, which not so long ago allowed anyone to come admire the beautiful, wood panel amphitheaters, now demands that anybody entering show proper ID. We have to take off our shoes before boarding a plane; I wouldn't be surprised if we won't soon be asked to strip naked and wear only company approved garments. Once we could take a plane the way we took the subway; soon we will have to take the subway the way we take a plane.

Because nowadays everyone is a potential terrorist. That person standing next you in the bus a probably going to bomb the nearby department store. The guy in the big coat is probably going to splatter bullets in the mall. Those young people are most certainly going to raid a museum. Not ot mention all those goons who trashed the stadium.We are no longer taught to love our neighbors but to fear them.

None of this was ever inevitable. If we had spent our money on schools and hospitals rather than wars and weapons, we might have been able to detect the aspirations, the angst and the needs of a young man who instead was ignored and eventually opened fire in a mall, severely wounding a congresswoman, and killing several others. If we had developed a foreign policy that truly demanded from others a level of decency that only in truth receives lip service, maybe we wouldn't be subject to the whims of extremism, dictatorships and terrorists. If we had chosen energy and economic policies that truly favored both personal independance and environemenal sustainability, we would not be seeing our influence and importance vanish as it is vanishing today.

But we chose a different path, one of personal greed and collective contempt, predicated on fear.

Bin Laden may be dead, but is we who have been defeated.

vendredi 4 mars 2011

Mes cinq premiers films

L'on me demande régulièrement de publier des listes pour mieux cerner le personnage que je suis. L'exercice m'est particulièrement difficile, car graver de telles listes dans la pierre ne me permet pas de me reprendre par la suite, et donc il est difficile de prendre en compte la dimension évolutive des goûts..

La liste que je vous propose ici en revanche est relativement facile à établir, car ces films représentent mes points de départ en tant que cinéphile. Elle vaut ce qu'elle vaut; je reconnais son caractère ethnocentrique, mais j'ai grandi à Hollywood, où l'on vit a priori de l'industrie locale...

Star Wars (La Guerre des Étoiles, George Lucas 1977)
    C'est LE film de mon enfance. Il est sorti quand j'avais onze ans. Je garde encore le souvenir d'avoir susauté en entendant le premier accord. J'ai dû entrainer chaque membre de la famille le revoir (et je reste ébloui par leur patience).
    Il est en outre le film qui a rendu possible la technologie moderne des effets spéciaux, rouvrant la voie du cinéma d'image et d'action, et le retour des gens en salle. Le vrai problème dans le cinéma parlant, c'est que les gens parlent, et du coup il ne se passe plus rien; on pouvait voir ça tous les soirs à la télé. Pourquoi payer pour le voir en salle? Star Wars rappelle le pouvoir envoutant des grands écrans dans des salles obscures.

Casablanca (Michael Curtiz, 1943)
    Y-t-il plus forte antithèses? Ici, il n'y a pas d'avions spatiaux en train de bombarder une gigantesque boule en plastique,  mais deux hommes qui aiment la même femme. Les décors sont somptueux, mais en fin de compte relativement restreints. Tout est dans la joute verbale, dans les contrastes de personnalités. Des petits rôles qui n'apparaissent que quelques instants aux trois personnages principaux, chacun sonne juste. Et Ingrid Bergman sera mon premier amour; même si aujourd'hui elle est pour moi un souvenir de jeunesse. Le grand problème avec Ingrid Bergman, c'est qu'elle s'est vite trouvé dans des rôles de jeune vierge fragile, alors qu'elle n'avait pas a gueule de l'emploi...
    Casablanca est le film qui m'a donné envie de voir des films. Quelques mois plus tard, j'obtiendrais mon permis de conduire, me permettant d'explorer toutes les salles de Los Angeles, et comme la ville de Los Angeles a une superficie comparable à celle du duché de Luxembourg, il est facile d'imaginer la difficulté d'aller d'une salle à l'autre.

It Happened One Night (New York Miami, Frank Capra 1934)
    Curieusement, j'ai découvert ce film non pas au cinéma, mais à la télé et pire, tard dans la nuit, alors qu'on utilise les films comme excuse pour assurer la permanence des émissions à l'antenne. Le film alors est fragmenté, du genre dix minutes de film et cinq minutes de pub. Ce qui est en fait infernal, mais le film est montré dans son intégralité et le caractère fragmentaire permet de l'explorer dans ses détails, précisément parce qu'on ne voit pas la totalité en un jet. C'est alors que l'on comprend l'importance des scènes intermédiaires, ces scènes où il ne se passe rien et qui conduit le film d'un moment fort au suivant. Dans ces scènes, le film respire, l'on développe les personnalités des divers protagonistes et les auteurs explorent les thèmes essentiels du film. En bref, c'est alors que l'histoire cède la place au propos. Un grand auteur exploite ces temps 'mort' à fond. C'est avec New York Miami que je me suis mis à rechercher un film du même auteur, en l'occurence Capra. De fan de cinéma, je devins cinéphile.

Laura (Otto Preminger, 1944)
    Dans les méandres à travers les salles obscures, j'ai découvert ce joyaux de l'expressionnisme hollywoodien. Ce film est composé de contrastes et de surprises, des passages du jour à la nuit, de la ville à la campagne, du loisir au travail: on ne sait même pas quels sont les tenants et aboutissants du crime avant le milieu du film. Ce film passe du fantastique au quotidien au mondain en un clin d'oeil, sans jamais perdre de vue son objectif final.
    Durant mes études à l'université, un de mes professeurs nous a demandé de choisir un classique dont on ferait le pitch, c'est à dire la proposition de vente avec la mise en scène d'un extrait en exemple. La plupart de mes camarades ont choisi des films récents. Moi, j'ai choisi Laura. Si pour le jeu, je disais à l'époque que Lawrence Kasdan serait le réalisateur (aujourd'hui j'aurais préféré les frères Coen), il est vrai que c'est le film que je voudrais tourner.

The African Queen (John Huston, 1951)
    Objectivement parlant, ce film est nul, tourné avec de la colle, de la ficelle et une prière par un réalisateur qui l'utilisa comme un prétexte pour aller chasser en Afrique en se bourrant à mort avec son pote. On voit toute les scènes en contre projection, les maquettes de bateau en bassine, la fausse pluie, voire les reflets de miroir involontaires (c'est à peine si l'on voit un micro ou un fil électrique dans le cadre!).
    Et pourtant ce film est touché par la grâce. Il y a une alchimie qui s'opère entre ces deux personnalités que tout oppose. Il y a des répliques dites avec un bel aplomb qui prennent des allures d'aphorisme. John Huston est l'auteur des paris fous, des losers qui risquent leurs âmes pour se sauver - ou se damner. Dans le cas de la Reine Africaine, le pari réside dans le tournage même, et la réussite du tournage se traduit dans la réussite involontaire du projet des héros.
    C'est le premier film que j'ai redécouvert en vidéo. A un certain moment, je le regardais en boucle; si je le regarde certes moins souvent aujourd'hui, je ne m'en lasse pourtant pas.

    Voilà mes cinq films essentiels. Mes préférés? Peut-être pas. Il y en a bien d'autres qui m'ont ébloui; d'autres encore qu'il me restent à découvrir. Je reconnais en outre le caractère "cercle fermé" que prennent ces films. Pourquoi cinq films de l'apogée de l'époque hollywoodienne, alors qu'il y en a bien d'autres du monde entier qui les valent, voire les surpassent. Mais ce sont les cinq films qui définissent le mieux comment je conçois le cinéma.